samedi 28 mai 2011

Le malaise des chômeurs et des agents du Pôle emploi

Laurent Berger, responsable des questions d'emploi à la CFDT
"Le malaise des chômeurs et des agents du Pôle emploi ne se traite pas d'un revers de la main"
Un homme consulte des offres d'emplois à Caen dans une agence de ce qui était encore l'ANPE, le 31 octobre 2008 (devenue depuis Pôle Emploi).

Un homme consulte des offres d'emplois à Caen dans une agence de ce qui était encore l'ANPE, le 31 octobre 2008 (devenue depuis Pôle Emploi).AFP/MYCHELE DANIAU

La CFDT, qui avait jusqu'à présent soutenu la fusion des services de l'ANPE et les Assedic, a publié mercredi 25 mai une enquête sévère d'une soixantaine de pages donnant la parole à des demandeurs d'emploi et des employés du Pôle emploi. Intitulée "Malaise des deux côtés du guichet", cette série de témoignages se veut révélatrice d'un "parcours du combattant quotidien". Entretien avec Laurent Berger, secrétaire national responsable des questions d'emploi à la CFDT.

Comment avez-vous récolté ces témoignages ? Avez-vous seulement donné la parole à des adhérents de votre syndicat ?

Cet automne, nous avons voulu faire un sondage à la sortie d'une agence. Nous nous sommes aperçus que les gens faisaient la queue pour nous répondre malgré le froid. On s'est dit qu'il y avait un gros problème. On a juste fait ce qui est la base du syndicalisme : recueillir un afflux de témoignages spontanés. Pas seulement des syndiqués à la CFDT, bien au contraire. C'est vraiment un sentiment généralisé.

Qu'en retenez-vous ?

Ce qui m'a frappé, c'est l'émotion des gens. Les agents expriment un mal-être vraiment inquiétant. Certains ont pleuré. Nous sommes également confrontés à une énorme incompréhension de la part des chômeurs qui s'exclament massivement : "On se fout de nous."

Le pire, c'est ce sentiment de ne pas être écouté sur des trucs de bon sens. Par exemple, cet agent qui ne peut donner aucun numéro de téléphone aux chômeurs à qui il laisse un message car il n'a pas de ligne directe. C'est à tomber par terre pour n'importe quelle personne qui réfléchit trente secondes.

Nous ne voulons pas 'planter' le Pôle emploi, juste l'améliorer et écouter ce que vivent les gens. Il faut écouter.

Comment la CFDT, à l'origine favorable à la fusion des services de l'ANPE et les Assedic, en est-elle venue à rédiger ce "Livre noir" ?

Nous sommes toujours pour la fusion des dispositifs d'indemnisations et d'accompagnement des chômeurs. Car c'est une bonne chose si l'on se place de leur côté. Ce n'est pas l'idée qui est mauvaise. C'est sa mise en œuvre.

Evidemment, il faut admettre qu'il y a eu le problème de la crise avec un afflux conséquent de chômeurs. Et je pense qu'il y a eu deux péchés originels à cette réforme – hormis la précipitation qui est la marque de fabrique de la législature.

Le premier péché c'est d'avoir voulu fusionner deux métiers en un seul : l'indemnisation et l'accompagnement des demandeurs d'emploi. On voit qu'il y a un problème au niveau des agents. Il y a bien deux métiers. Il y a ceux qui calculent les indemnités et ceux qui aident à retrouver du travail. Aucun n'est plus important que l'autre.

Le deuxième péché est d'être entré dans une logique trop statistique et administrative liée à l'hypercentralisation. Je pense surtout au pseudo "suivi mensuel personnalisé" qu'on a voulu instaurer et qui est trop souvent plus collectif que personnel. Le but était soi-disant de diminuer le nombre de chômeurs conseillés par un travailleur du Pôle emploi. Mais aujourd'hui certains agents en ont jusqu'à 250 ! On a confondu accompagnement et suivi. On a créé des indicateurs de suivi qui ne sont pas des indicateurs de résultat.

Le directeur du Pôle emploi, Christian Charpy, juge votre enquête "caricaturale". "C'est normal qu'il y ait de temps en temps des coups de stress, d'angoisse, mais de là à expliquer que le Pôle emploi c'est un enfer, il faut raison garder", a-t-il estimé. Que lui répondez-vous ?

On a dit qu'il y a un malaise, pas que c'est l'enfer. C'est différent. Si M. Charpy n'est pas capable d'entendre qu'une organisation syndicale qui était pour la fusion, qui est impliquée de longue date dans le service public de l'emploi, qui prend ses responsabilités et sait que ce n'est pas simple, tire la sonnette d'alarme aujourd'hui, ça veut dire que notre système démocratique fonctionne très mal. Il faut que les responsables politiques nous écoutent.

Vous avez l'impression de ne pas être écoutés ?

Non, nous, nous avons les moyens de nous faire entendre. Mais le malaise des chômeurs et des agents ne se traite pas d'un revers de main comme cela. Nous ne disons pas qu'il faut supprimer le Pôle emploi ! Mais il qu'il y a trop de gens qui en bavent. Ce ne sont pas que des chiffres et on ne peut plus faire comme si les gens n'existaient pas. La direction du Pôle emploi et l'Etat feraient bien d'entendre qu'il y a un profond problème.

Dans ce rapport, vous dénoncez en préambule une diminution du budget du Pôle Emploi au moment où la société a le plus besoin de ses services.

On a noté un désengagement de l'Etat au pire moment. Nous sommes en train de le vivre dramatiquement. 2010 a été une sombre année pour les finances du Pôle emploi. Mille huit cents postes ont été supprimés dans la dernière loi des finances et la dotation 2009 du Pôle Emploi a été amputée de 187 millions d’euros.

Encore une fois, c'est la faute d'une logique purement comptable. Une logique financière dans le budget et statistique dans l'évaluation. Mettons donc de l'humain dans tout ça.

Pourquoi sortir ce rapport aujourd'hui ?

Nous nous inscrivons surtout au lendemain du rapport d'activité du Pôle emploi sur lequel nous nous sommes abstenus. Nous voulons peser dans le débat public dans le cadre de l'ouverture prochaine de la convention tripartite 2012-2015 (Etat, Unedic et Pôle emploi). Nous ne sommes pas dans une guerre contre le Pôle emploi. Nous voulons juste incarner le malaise palpable.
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