Une tour d'un kilomètre en Arabie saoudite : pour quoi faire ?
La folie des tours continue. L'annonce est venue il y a quelques jours d'Arabie saoudite : Djeddah, la capitale économique du royaume, va bâtir un gratte-ciel de plus d'un kilomètre dans le ciel. Et le bâtisseur s'appelle : Ben Laden Group !
Cette course à l'altitude se poursuit contre toute évidence économique et écologique, et fait partie de la guerre de l'image et du prestige que se livrent les nations ; principalement dans le monde en développement (Asie contre Moyen-Orient pour faire court), les Occidentaux ayant renoncé depuis longtemps à rester dans la compétition.
Il en coûtera 1,2 milliard de dollars (860 millions d'euros) au prince Walid Ibn Talal (19e fortune mondiale) et à son groupe Kingdom Holding, pour développer ce projet pharaonique des temps modernes, qui sera réalisé par le Ben Laden Group, de la famille du défunt leader d'Al Qaeda.
172 m de plus que la tour Burj Khalifa, à Dubaï
Avec un hôtel de luxe, des bureaux et des appartements, cette tour ravira la vedette à son voisin de Dubaï, qui, avec la tour Burj Khalifa, haute de 828 m, détient le record du monde. (Voir la vidéo de la maquette)
Reste la question de la logique qui pousse les entrepreneurs et les Etats à se lancer dans cette course au gigantisme qui, s'il ne constitue plus réellement des défis techniques (Voir la vidéo ci-dessous sur la méthode de construction de la tour) ne s'inscrit guère dans les objectifs de développement durable de notre époque.
Les gratte-ciel font-ils les crises économiques ?
En 2009, lors de l'inauguration de la tour de Dubaï coïncidant avec la crise financière de l'émirat, Guillemette Faure avait attiré l'attention, sur Rue89, sur le « skyscraper index » : mis au point en 1999 par Andrew Lawrence, alors économiste de la banque Dresdner Kleinwort Benson, il montre que les périodes d'érection de gratte-ciel de taille record coïncident avec la fin de cycles économiques.
La construction d'un « gratte-ciel le plus haut de… » est selon lui un bon moyen de prédire l'arrivée de crises économiques.
« Que racontons-nous par l'élévation dans le ciel de bureaux ? »
D'autres préfèrent y voir une dimension civilisationnelle en se demandant de quoi cette poussée vers le ciel est le symbole. Dans une tribune sur Rue89, Denis Dessus, Isabelle Coste et David Orbach, architectes urbanistes et ingénieur, avaient tenté une réponse qui mérite d'être citée au moment où les Saoudiens se lancent dans cette nouvelle aventure verticale :
« Autrefois la verticale urbaine symbolisait la foi de tout un peuple. Et aujourd'hui ?
Mais il y a plus grave. Le symbole. La tour de bureaux est une catastrophe symbolique. Les architectes ne s'intéressent plus à ces choses-là, mais la grande hauteur dans une ville est l'emblème, le témoignage inoubliable de notre société toute entière.
Autrefois, l'église résumait la ville par son clocher. Entourée des maisons de mêmes matériaux qu'elle et les dépassant, elle était comme un berger habillé de laine et protégeant ses moutons. Magnifique image ! La verticale urbaine était l'expression construite de la foi de tout un peuple, de ce en quoi il croyait et qu'il plaçait au-dessus de tout. Les mosquées et leurs minarets dans l'horizon des villes musulmanes affirmaient merveilleusement la même chose.
Puis nous avons perdu notre confiance en Dieu et nous sommes tournés vers la technologie : la Tour Eiffel a alors été construite de la sorte pour proclamer au monde l'excellence de notre savoir-faire technique.
Et aujourd'hui ? Que voulons-nous raconter par l'élévation dans le ciel d'un empilement de bureaux occupé par des sociétés commerciales et privées ? Notre admiration de l'argent ? Notre amour du marché ? Comme il est dommage que notre société se réduise maintenant à un tel devenir ! Avant de produire des tours, avant de nous occuper de leur esthétique et de leur consommation, entendons-nous sur un “ projet de civilisation ” qui nous transporterait tous. »
sourcerue89
REMCC
