Corse : le racisme, symptôme d'une tension identitaire plus générale
Des experts estiment que ces dérives racistes ne sont pas spécifiques à la Corse, mais appartiennent à un mouvement plus général, en France et en Europe.
SOURCE AFP
Publié le - Modifié le | Le Point.fr
Des experts livrent leur analyse sur les récentes démonstrations de racisme en Corse, qui répondent, selon eux, à certaines spécificités insulaires, mais sont aussi symptomatiques de tensions identitaires observées ailleurs en France et en Europe. "Ce qu'il y a de spécifique à la Corse, c'est cette dimension spectaculaire, parce que la violence, surtout quand il s'agit d'identité, est devenue banale, en Corse. Elle est le moyen de résoudre des conflits", estime Liza Terrazzoni, chercheuse au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis). Pendant trois jours des manifestations émaillées de slogans ouvertement racistes se sont déroulées dans la ville, où une salle de prière musulmane a même été saccagée. Des faits qui ont eu lieu dans un contexte particulier : la Corse, qui compte entre 8 et 10 % d'étrangers, deuxième région en proportion après l'Ile-de-France, a vu la victoire des nationalistes lors des dernières régionales.
Les élections ont également été marquées par la réémergence du FN, avec 10,58 % des voix : un score certes inférieur à ceux du continent, mais qui lui permet d'être représenté à l'Assemblée de Corse pour la première fois depuis 1992. Cette émergence du nationalisme n'est pas neutre, selon la chercheuse. "Qu'il y ait un contexte, depuis 40 ans, en Corse, qui ait porté les questions identitaires dans la sphère politique, ça oui", explique-t-elle. Elle rappelle que le mouvement nationaliste s'est construit au moment de l'installation dans l'île des rapatriés d'Algérie – qui ont parfois fait venir une main d'oeuvre notamment marocaine – en dénonçant "la logique de substitution ethnique" par des non-Corses, un argument qui s'est élargi par la suite aux Maghrébins.
Des manifestations plus populistes que nationalistes
Pour autant, "c'est une erreur d'analyse que de lier l'émergence du nationalisme (...) avec ce qui s'est passé ces derniers jours". Marie Peretti-Ndiaye, également chercheuse associée au Cadis, un laboratoire de l'EHESS, décèle elle aussi plusieurs particularités susceptibles d'exacerber le racisme en Corse. D'abord la structure du marché du travail, avec des secteurs du bâtiment et du tourisme ayant "un besoin très fort en main-d'oeuvre peu qualifiée", souvent immigrée. Ce qui "favorise la précarité d'une partie de la population". Ensuite, le passé colonial : "il y a eu 200 000 Corses en Algérie entre le XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale", un chiffre très important qui a favorisé la diffusion de stéréotypes marqués.
La pauvreté est également un facteur à prendre en compte, juge-t-elle, tout comme la croissance urbaine relativement rapide, polarisée autour de Bastia et Ajaccio, qui ont absorbé les deux tiers de la croissance démographique de l'île ces 30 dernières années. Toutefois, pour Mme Terrazzoni, regarder prioritairement ce qu'il y a de spécifique en Corse peut être "dangereux" : "C'est s'empêcher de penser et de voir le glissement de la société française, l'activisme d'extrême droite. C'est une manière de pointer ce qui se passe en Corse et de dire bon, ben, ça se passe en Corse et d'oublier que ça se passe aussi ailleurs." Les débordements racistes et xénophobes des derniers jours sont avant tout "symptomatiques d'un contexte", selon Liza Terrazzoni, "celui de la France, de l'état de tension identitaire extrême dans lequel nous sommes en France, avec une cristallisation sur la question de l'appartenance, de l'immigration, de l'islam".
"On sait qu'il y a des dérives racistes, des dérives d'extrême droite aujourd'hui à l'échelle européenne, en France aussi singulièrement" soulignait lundi Jean-Guy Talamoni, leader indépendantiste récemment élu président de l'Assemblée de Corse : "La Corse ne peut pas évidemment demeurer indemne." Marie Peretti-Ndiaye note que "dans les années 1990, il y a eu une politisation très forte de la question migratoire, dans le monde post-11 Septembre, une politisation très forte de la question religieuse, avec à chaque fois la mise en avant d'une figure particulière de la menace.(...) Aujourd'hui, c'est un mélange un peu hybride, à la fois la figure du migrant et à la fois la figure du musulman, qui cristallise la peur." "La Corse n'est pas différente, sur ces questions-là", estime-t-elle également, voyant dans le discours des manifestants des expressions "populistes, plus que nationalistes".