mercredi 6 août 2014

Chez Latécoère, le droit de se syndiquer ne traverse pas la frontière

Des pancartes recouvrent les murs de la petite pièce. «Le pays des droits de l’homme les bafoue ouvertement chez nous»,accuse l’une d’elles, utilisée lors d’une manifestation devant l’ambassade de France, à Tunis. Depuis le 19 juin, deux ouvrières de Latélec, filiale de l’équipementier aéronautique français Latécoère, mènent ici une grève de la faim. Elles sont quatre à revendiquer leur réintégration.«C’est notre droit», assène Sonia Jebali, l’une des jeûneuses, figure de proue, avec sa collègue Monia Dridi, de cette bataille ouverte en 2011. Elles accusent leur direction de vouloir casser le syndicat qu’elles ont initié sur le site de Fouchana, près de Tunis. Les 400 employés y produisent des câbles pour avions (surtout des Airbus). A l’époque, les ouvriers, des femmes pour la plupart, étaient payés 247 dinars par mois (130 euros).
Second point noir : le manque de respect de la part des contremaîtres. En mars 2011, la cellule syndicale, affiliée à la puissante UGTT, voit le jour. Les adhésions affluent.«On a d’abord réussi à limiter les abus, niveau respect», raconte Monia Dridi. Après huit mois de bras de fer, la direction cède : le salaire minimum passe à 550 dinars.«Après ça, la répression a commencé», analyse la jeune femme. Fin 2012, l’usine ferme ses portes. Elle rouvre quelques jours plus tard, mais tourne à vide : la production a été rapatriée en France et au Mexique. La direction invoque les arrêts de travail répétés. «Il y a eu de graves débordements», fait-on valoir chez Latécoère.«Les arrêts n’étaient pas tous légaux, mais c’était normal après la révolution, et il n’y a jamais eu de violence», rétorque Mohamed Ali Boughdiri, de l’UGTT régionale.
Au printemps 2013, dix ouvrières, dont trois syndicalistes, sont licenciées. «Ils nous ont reproché d’avoir entravé le travail et nui à l’image de l’entreprise», rapporte Monia. L’activité reprend en octobreavant la signature en mars d’un accord : sur les dix, six sont réintégrées. Pas Sonia et Monia. Elles s’estiment lâchées par l’UGTT. Mais les quatre ouvrières ont le soutien de leurs collègues et d’organisations tunisiennes et françaises. L’UGTT finit par déposer un préavis de grève. Des discussions sont ouvertes, mais pour Latécoère, «la réintégration n’est pas au menu».
Elodie AUFFRAY
Source Libé