vendredi 20 juin 2014

Mauritanie, une militante des droits de l’homme menacée de mort

Mauritanie, une militante des droits de l’homme menacée de mort

Célèbre pour son engagement pour la défense des droits des femmes et contre l’esclavage, la militante Aminetou Mint El Moctar est aujourd’hui menacée de mort par un groupe islamiste radical, « les amis du prophète ». Cette personnalité incontournable de la société civile avait déjà pointé à plusieurs reprises les dangers de la montée d’un islam radical dans ce pays allié de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.
Jeudi 5 juin, Yadhi Ould Dahi, leader du mouvement islamiste radical mauritanien « Ahbab Errassoul », les amis du prophète, a lancé une fatwa de mort contre la célèbre militante des droits de l’homme Aminetou Mint El Moctar. Dans un texte publié intégralement sur le site mauritanien « 28 novembre », le leader radical Yadhi Ould Dahi lui reproche notamment d’avoir défendu la cause du jeune Cheikh Ould Mkheitir début 2014.
Contre le crime d’apostasie
Ce mauritanien de 28 ans avait alors été arrêté et placé sous mandat de dépôt par les autorités de la ville de Nouadhibou au nord du pays pour avoir publié des textes jugés blasphématoires sur internet. Dans ses articles, Ould Mkhteir dénonçait notamment les justifications religieuses du système de caste et de l’esclavage encore très répandu en Mauritanie. A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit, donnant lieu à des soulèvements de défense de l’islam dans plusieurs grandes villes du pays. Dans un discours prononcé devant le palais de la présidence, le chef de l’Etat Mohamed Ould Abdelaziz avait lui-même défendu la religion à cette occasion en rappelant que « la Mauritanie est un Etat islamique et non laïc ».
Les associations anti-esclavagistes et de défense des droits de l’Homme dont le mouvement de défense des droits des femmes d’Aminetou Mint El Moctar -- l’Association des femmes chefs de famille (AFCF) -- avaient quant à elles dénoncé la montée d’un radicalisme religieux relayé par le pouvoir politique aux mains des communautés maures. Depuis plusieurs années, les mouvements abolitionnistes dénoncent le recours abusif à une interprétation erronée d’écrits religieux servant à justifier la servitude des populations noires du pays. Lors de l’affaire Cheikh Ould Mkheitir, Aminetou Mint El Moctar qui s’est elle-même illustrée dans la lutte contre l’esclavage, avait récusé les accusations d’apostasie porté contre le jeune homme et exigé la tenue d’un procès équitable.
Montée du fondamentalisme
Aujourd’hui, ces positions lui valent des menaces d’une rare violence. Sur le site « 28 novembre » on peut notamment lire cet extrait de la fatwa : "Cette malveillante qui défend Mkheitir et dit qu’il est un détenu d’opinion et qui a demandé sa libération et qu’on lui rende son épouse, celle qui décrit le groupe des amis de prophète comme des Boko Haram et des Takfiri car ils n’ont fait que demander de l’équité pour le prophète et le respect de son honneur, qu’elle soit damnée par Allah, les anges et les gens réunis. Aujourd’hui j’annonce avec la bénédiction d’Allah son apostasie pour avoir minimisé les atteintes à l’honneur du prophète. C’est une infidèle dont le sang et le bien sont licites. Quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué chez Allah"
Jointe par nos confrères de RFI, Aminetou Mint El Moctar s'est dite déterminée à « combattre les idées proférées par le chef des Amis du prophète ». « L'appel au meurtre est un crime », a-t-elle rappelé.
Personnalité incontournable de la société civile mauritanienne, Aminetou Mint El Moctar pointe depuis plusieurs années une dégradation de la situation des droits humains en Mauritanie et les dangers d’une radicalisation de la religion. Dans son combat pour la défense des droits des femmes, elle s’est notamment confrontée à l’inertie du pouvoir très influencé par les oulémas. Le 8 mars 2012, journée des femmes, une grande manifestation de quatre mille personnes, organisée pour demander le vote d’une loi criminalisant les violences conjugales, était autorisée. A l’époque, quelques semaines après le début du Printemps arabe, le pouvoir mauritanien était condamné à lâcher du lest s’il ne voulait pas provoquer la colère populaire. Un an plus tard en revanche, la situation n’est plus la même. La manifestation prévue pour la journée des femmes, le 8 mars 2013, a été interdite. A l’époque, Aminetou Mint El Moctar déclarait lors d’une rencontre dans la capitale mauritanienne Noukachott : « A quelques mois des élections législatives de novembre 2013, la présidence ne tolère plus que les initiatives organisées sous sa tutelle ».